Managers, transformez les conflits en levier d’innovation et de cohésion d’équipe

Découvrez comment transformer les conflits en opportunités de croissance pour votre équipe. Exemples concrets, stratégies éprouvées et outils pratiques pour des managers et responsables RH en quête de cohésion et d’innovation.

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LYDIE GOYENETCHE

12/26/20245 min lire

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Freud, Girard et Lewin : comprendre et surmonter les conflits pour une cohésion engagée

Le conflit comme tension révélatrice dans l’entreprise

Les conflits sont omniprésents dans nos vies et prennent de nombreuses formes : conflits armés internationaux, conflits sociaux, conflits positifs, conflits négatifs, conflits d’intérêts, conflits de pouvoir ou encore conflits territoriaux. Chaque forme révèle une tension, un frottement, un seuil de transformation. Dans le contexte de l’entreprise, ces tensions ne sont pas de simples obstacles : elles dévoilent des rapports de place, de sens, et des fractures parfois invisibles entre les individus et leurs représentations du travail.

Lorsqu’un territoire est secoué par une guerre, une entreprise implantée localement perd bien plus qu’un marché : elle voit vaciller sa raison d’être, ses circuits logistiques, son lien à la population. À une autre échelle, dans une équipe, un désaccord peut désorganiser le collectif, creuser des lignes de fracture durables, ou au contraire, ouvrir un champ nouveau d’innovations, à condition d’être accueilli comme un processus vivant.

Le conflit comme matrice de changement ou facteur de rupture

La gestion de ces tensions, dans une entreprise, relève d’un art délicat. Un conflit social mal résolu peut devenir un abcès de fixation pour les rancœurs, augmenter l’absentéisme, accélérer les départs. Mais certaines tensions, lorsqu’elles sont canalisées, deviennent matrices de changement. Le conflit, loin d’être un dysfonctionnement, devient alors révélateur : révélateur d’un besoin, d’une peur, d’une injustice, d’un rapport au pouvoir ou au territoire intérieur. La divergence bien accompagnée devient alors promesse d’élargissement.

Il y a des conflits qui nourrissent. Des désaccords qui élargissent la pensée. Une tension entre marketing et technique peut, si elle est écoutée, donner naissance à un produit plus robuste, plus audacieux. Mais il y a aussi des tensions destructrices. Une rivalité personnelle entre deux chefs de service, qui se propage aux équipes, désorganise les flux, les priorités, et les liens humains. La qualité relationnelle est souvent le premier indicateur affecté.

Le conflit comme révélateur de peur et d’enjeux psychiques

Derrière chaque conflit, il y a une peur, un besoin, un attachement. Poser des mots, reconnaître les enjeux de place, restaurer un espace de confiance, sont des actes managériaux forts. En ce sens, la gestion du conflit ne relève pas uniquement d’un outillage RH : elle est une posture.

Dans cette perspective, Freud éclaire les conflits récurrents par le prisme des tensions psychiques. Un manager qui se sent constamment contesté, un collaborateur hypersensible à l’autorité, rejouent parfois des scènes plus anciennes. Le conflit devient alors une scène symbolique, un miroir des angoisses de l’enfance. Mais cette prise de conscience n’est pas suffisante. Il faut un cadre, une sécurité, une présence accompagnante.

Le conflit mimétique selon Girard : rivalité et bouc émissaire

Girard, quant à lui, montre que nos désirs sont mimétiques. Ce que je désire, je le désire souvent parce que je vois l’autre le désirer. La rivalité mimétique alimente alors la tension. Dans l’entreprise, cette dynamique est souvent à l’œuvre dans les équipes homogènes. Le conflit devient ici un miroir : ce n’est pas tant l’objet qui est désiré, que la reconnaissance qui l’entoure. Le danger, si la tension s’envenime, est la désignation d’un bouc émissaire. Celui ou celle sur qui on projette la cause du malaise commun. C’est là que le rôle du cadre, du médiateur ou du dirigeant devient crucial. Ne pas se laisser piéger par le besoin de paix immédiate au détriment de la justice.

Le conflit comme champ de forces : lecture dynamique avec Lewin

Kurt Lewin propose une lecture dynamique : chaque tension est la résultante de forces opposées. Pour sortir d’un blocage, il faut desserrer les forces qui figent. Créer un espace où les besoins de chacun peuvent être exprimés. Des ateliers de co-construction permettent parfois de relancer le mouvement. Pas seulement pour résoudre, mais pour régénérer. Car la tension peut aussi devenir énergie.

Le conflit dans l’approche ESS : un lieu de passage et de transformation

Mais au-delà des modèles, il faut accueillir ce que la tension révèle du groupe et de chacun. Dans l’approche de l’Économie Sociale et Solidaire, le conflit n’est pas vu comme une anomalie, mais comme un lieu de passage. On y apprend à faire de la place, à construire ensemble un monde plus juste. Ici, la gestion des conflits devient une démarche de transformation collective, où la justice prime sur l’efficacité, et la parole sur l’injonction.

Le conflit comme occasion d’appui mutuel : l’éthique du « hacerse espaldas »

Dans cette perspective, une posture éthique inspirée des traditions spirituelles peut enrichir la gestion des tensions. Jean de la Croix et Thérèse d’Avila parlaient de hacerse espaldas : se faire dos, non pour se tourner le dos, mais pour se porter. Être pour l’autre un appui discret, invisible mais réel. Cette posture invite à soutenir sans dominer, à rester présent sans capturer. C’est une forme de compagnonnage dans l’épreuve.

Dans une équipe, cette posture peut désamorcer des tensions en créant un espace de sécurité affective, où chacun sait qu’il ne sera pas abandonné, même dans l’opposition. C’est aussi une manière de vivre le conflit comme un appel à une vérité plus grande que les intérêts en jeu.

Le conflit comme exercice de présence et de lenteur

Cette vision, profondément enracinée dans l’anthropologie relationnelle, rejoint les principes de la médiation et de la gouvernance partagée. Elle suppose de ralentir, d’écouter, d’honorer les mots fragiles. Elle exige aussi une structure : règles explicites, processus clairs, cadres protecteurs. Mais elle ne s’arrête pas là. Elle appelle à une qualité de présence.

Le conflit en période de crise : entre exclusion et résistance

En période de crise ouverte, comme dans les violences symboliques ou les désignations arbitraires, cette posture devient résistance. Résistance à la facilité de l’exclusion. Résistance au sacrifice d’un seul pour apaiser tous les autres. Résistance à la tentation d’une paix factice.

Le conflit comme levier de maturité collective

Faire de la place au conflit, ce n’est pas lui céder. C’est lui permettre d’être entendu, traversé, transformé. Un conflit bien accompagné peut devenir un tournant. Un conflit nié devient un poison. Dans les entreprises comme dans les collectivités, il est urgent de former à cette présence, à cette écoute active, à cette éthique du désaccord.

Former, accompagner, structurer… mais aussi croire. Croire que les conflits sont parfois le lieu où germe l’inattendu. Où se révèle une fraternité plus forte que les rivalités. Où l’on apprend à marcher côte à côte, même quand on ne regarde pas dans la même direction.

Hacerse espaldas. Se faire dos. Et continuer, ensemble, à bâtir une œuvre commune.

Hacerse espaldas n’est pas si facile à traduire. On serait même tenté de dire s’épauler. C’est en effet cela qu’on attend le plus souvent d’une vie fraternelle, d’un travail en équipe : être soutenu, compris, porté. Mais dans cette traduction si légitime aux besoins ontologiques humains, il n’y a finalement pas d’acceptation du conflit qui transforme, qui crée, ni de radicalité dans le choix d’accepter l’altérité en tant que telle. Alors que si l’on traduit hacerse espaldas par se faire dos, l’altérité prend toute sa dimension, avec cette acceptation de la distance, du rythme, de la différence, de la dépossession de l’autre. Il y a là une transcendance qui traverse la relation en vue d’un but commun.