Pourquoi votre storytelling de marque ne fonctionne pas (encore)

Explorez comment le storytelling touche au manque ontologique et à l'identification émotionnelle : un levier stratégique puissant pour les entreprises ambitieuses....une entreprise peut aller au-delà de la dimension financière....

WEBMARKETING

LYDIE GOYENETCHE

5/4/20255 min lire

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PUISSANCE SYMBOLIQUE DU MESSAGE
PUISSANCE SYMBOLIQUE DU MESSAGE

Stratégie de marque et puissance symbolique du langage : une méditation sur le storytelling, le manque et la résonance

Quand une marque parle, que dit-elle vraiment ?

Pourquoi un enfant reconnaît-il le logo de Disney avant même de savoir lire ? Pourquoi des adultes, le cœur serré, laissent encore couler des larmes en entendant les premières notes du Roi Lion ? Pourquoi le Père Noël, année après année, continue-t-il à vivre dans nos regards, porté par le rouge éclatant d’une bouteille de Coca-Cola ou par la chaleur d’un marché de fin d’année ?

Il y a, dans ces récits de marque, quelque chose de plus vaste qu’une stratégie. Une marque ne se contente pas de vendre. Elle chuchote au vide intérieur. Elle effleure les contours d’un manque. Elle suggère un monde habitable.

Nous n’écrirons pas ici un traité académique. Plutôt une méditation. Une lente traversée du langage, entre symboles, archétypes, manques ontologiques et fragments de lumière. Mais cette méditation, pour rester utile, s'appuie aussi sur des exemples concrets, des chiffres, des usages, car dans le réel économique d’aujourd’hui, la stratégie de marque ne peut survivre sans ancrage ni pédagogie.

La marque comme récit incarné : du logo au mythe

Derrière chaque logo, un souvenir en germe. Une promesse silencieuse. Une mémoire collective qui attend d’être réactivée.

Disney, ce n’est pas seulement une entreprise. C’est une fabrique d’univers qui caresse l’enfance à travers les âges. Une grand-mère raconte à son petit-fils l’histoire de Bambi. Un père serre sa fille en regardant ensemble La Reine des Neiges. Et quelque chose se transmet, de peau à peau, sans même avoir besoin de mots.

Ce que nous appelons storytelling est parfois une simple chanson fredonnée. Une scène qui revient dans la mémoire. Une phrase comme une clé : « Hakuna Matata ». Et soudain, tout un monde revient, fragile, mais puissant.

Le Père Noël, lui, ne parle pas. Il incarne. Dans les yeux de l’enfant, il devient promesse de gratuité. Don sans retour. Et même si nous savons qu’il n’est pas réel, nous continuons de lui offrir une place. Car il comble un espace. Il parle à l’intérieur.

Prenons un indicateur révélateur : selon une étude de l’IFOP (2021), 78 % des Français considèrent Noël comme un moment « essentiel » dans l’année, même parmi ceux qui ne se réclament d’aucune religion. Le succès du personnage du Père Noël, relayé par Coca-Cola depuis les années 1930, continue d’agir comme un vecteur symbolique de stabilité affective et collective.

Et si les marques qui traversent les décennies étaient simplement celles qui savent se faire mythe ? Celles qui acceptent de raconter une histoire plus grande qu’elles ? Celles qui prennent soin du lien social tout en répondant à des désirs très intimes ?

Le langage symbolique comme vecteur de l’invisible

Le langage est une peau fine. Il ne dit pas tout. Mais il révèle. Il effleure. Il ouvre.

Pour Paul Ricoeur, le langage n’est pas un simple outil. Il est un mode d’habitation du monde. À travers lui, l’homme dessine les frontières de son espérance. Le storytelling, lorsqu’il est juste, ne ment pas. Il donne forme à ce que nous ne savons pas encore nommer.

Pour comprendre plus en profondeur cette puissance symbolique, on peut aussi s’appuyer sur les travaux de Bernard Casper, théologien et penseur du langage. Pour lui, le mot n’est pas d’abord un moyen de désigner, mais une manière de se situer. Il n’y a pas de langage neutre : parler, c’est déjà prendre position dans le monde. Et le symbole, loin d’être un ornement, est une coagulation du réel dans l’imaginaire.

Casper insiste sur cette dimension révélatrice du langage : la parole vraie est celle qui ouvre un espace, qui rend possible une relation. Il y a une responsabilité ontologique du verbe. Une marque, lorsqu’elle prend la parole, engage donc bien plus que son image : elle engage une manière d’être au monde. Elle engage un monde possible.

Prenons l’exemple de Patagonia, qui ne se contente pas de parler écologie : elle structure tous ses processus internes, ses investissements, ses décisions stratégiques selon ce discours. Le récit symbolique devient ici l’expression visible d’un ethos tangible.

Et si le verbe, ainsi compris, devenait pour les marques le lieu d’un dévoilement discret, une fine membrane à travers laquelle passe quelque chose du sens profond ?

Abraham Abulafia écrivait que même si la pensée humaine est trop étroite pour saisir les mystères cachés, un influx nous traverse, et nous pousse, parfois malgré nous, à dévoiler une force.

Ce flux, dans une stratégie de marque, peut habiter le mot, le visuel, la scène racontée. Mais il ne peut résider que là où il y a place pour lui. Sans actes justes, disait encore Abulafia, l’intellect ne demeure pas.

Ainsi, toute parole de marque non alignée devient bruit. Et tout récit enraciné dans l’authenticité peut devenir souffle. Présence. Légèreté habitée.

Une marque peut-elle devenir un lieu où quelque chose de plus grand se glisse ? Peut-elle être un canal fragile de sens, comme une main ouverte tendue dans le silence ?

Symbolique du manque et résonance dans les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux aussi, ce sont les récits qui touchent le plus profond qui circulent le plus largement. Un carrousel qui évoque un vide non nommé, une vidéo qui montre la tendresse entre un parent et un bébé, une infographie sur la fatigue silencieuse des aidants ou sur l’écart entre le travail réel et le travail reconnu : tous ces contenus résonnent parce qu’ils rencontrent des manques collectifs.

Selon l’étude Talkwalker 2023, les publications qui génèrent le plus d’engagement émotionnel sont celles qui suscitent l’identification, l’empathie ou le sentiment d’être « enfin compris ». Le taux d’engagement moyen peut ainsi être multiplié par 2,7 lorsqu’un contenu met en scène une souffrance implicite ou un décalage de place (parentalité, précarité, burn-out, surcharge mentale).

Les comptes les plus viraux ne sont pas nécessairement ceux qui crient ou qui vendent, mais ceux qui disent doucement ce que d’autres ne peuvent formuler. Il suffit parfois d’une image d’un nouveau-né dans des bras fatigués, d’un texte sur les rêves mis entre parenthèses, pour que des milliers de partages s’enclenchent.

Le langage symbolique, même en 1080x1080 pixels, garde sa force. Il s’ancre dans les cœurs. Il traverse les algorithmes.

Les marques qui comprennent cela ne font pas du bruit, elles créent de la résonance.