Hypersensibilité et hyposensibilité : comprendre les profils sensoriels pour mieux inclure
Découvrez comment l’hypersensibilité et l’hyposensibilité influencent le développement, les profils cognitifs et la vie professionnelle. Un article engagé à la croisée de la neurodiversité et de l’Économie Sociale et Solidaire.
RSEVEILLE SOCIALEDYNAMIQUE DE GROUPE
LYDIE GOYENETCHE
6/7/202511 min lire


Développement psychomoteur, construction sensorielle et diagnostic
Une relation au monde et à l'autre par les sens
Le développement sensoriel et psychomoteur d’un enfant constitue la première matrice de sa relation au monde. Avant même de parler, il expérimente, sent, touche, explore. Les systèmes sensoriels – tactile, proprioceptif, vestibulaire, auditif, visuel – sont en développement constant au cours des premières années de vie et ne s’intègrent harmonieusement que s’ils sont stimulés dans un environnement suffisamment porteur et sécurisant.
Mais tous les enfants ne vivent pas ces expériences sensorielles de manière uniforme. Certains présentent une hypersensibilité à certains stimuli, d’autres une hyposensibilité. Ces modalités sensorielles particulières ne relèvent pas toujours d’un trouble neurologique diagnostiqué. Elles peuvent être transitoires, réactionnelles ou refléter un fonctionnement neuro-atypique stable.
Dans une structure d’accueil de la petite enfance, une stagiaire en formation d’Éducatrice de Jeunes Enfants observe les réactions des enfants lors d’un atelier pâte à sel. Elle a soigneusement préparé le matériel : farine, sel, eau, colorants naturels. L’objectif est simple : favoriser la motricité fine, la créativité et le jeu sensoriel.
La majorité des enfants plongent leurs mains dans la matière avec enthousiasme, testent, goûtent parfois, parlent, rient. Mais son attention se porte sur Nordin, un petit garçon d’à peine deux ans. À peine a-t-il touché la pâte que son visage se crispe. Il se fige, les épaules relevées, cherche du regard un adulte. Il tente de se rapprocher de l’éducatrice, dont les bras sont déjà pris par un autre enfant. Incapable de verbaliser ce qu’il ressent, il s’éloigne alors, s’assoit seul contre le mur, et commence à se balancer d’avant en arrière dans un mouvement régulier, presque imperceptible mais chargé d’intensité.
Cette réaction n’est ni un caprice ni un désintérêt : elle traduit une forme d’hyperréactivité tactile couplée à un besoin de régulation proprioceptive. Le balancement, ici, n’est pas un comportement inadapté, mais un geste auto-apaisant que l’enfant mobilise de manière intuitive.
Dans un tel cas, le rôle du professionnel est de décrypter cette réaction, sans jugement, et de proposer des médiations alternatives: une pâte plus sèche, des gants, ou un temps d’observation avant la manipulation. C’est aussi de partager cette observation avec l’équipe et éventuellement avec les parents, pour repérer si ce type de réaction se répète dans d’autres contextes sensoriels.
Ce type de situation illustre l’importance cruciale du diagnostic psychomoteur dans les cas où les particularités sensorielles deviennent un obstacle au développement harmonieux de l’enfant. Le psychomotricien, en évaluant le tonus, l’équilibre, la coordination, mais aussi les réactions aux stimuli sensoriels, peut repérer un trouble de l’intégration sensorielle. Selon la DREES, près de 17 % des enfants de moins de 6 ans suivis en Centre d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP) présentent des troubles du développement sans diagnostic médical clairement posé à l’entrée. Ces troubles sont parfois d’origine sensorielle, ce qui nécessite un accompagnement précoce.
Les manifestations sensorielles ne se limitent pas à l’enfance. Elles peuvent persister ou se transformer à l’adolescence et à l’âge adulte.
L’hyposensibilité peut ainsi passer inaperçue, car moins « visible » : une personne peut ne pas sentir la douleur normalement, avoir besoin d’une forte pression pour ressentir son corps, ou rechercher constamment des sensations physiques intenses. À l’inverse, l’hypersensibilité peut être confondue avec une émotivité excessive ou une faible tolérance au stress. Pourtant, ces réactions ont souvent une base neurologique et méritent d’être prises au sérieux.
Dans le secteur de l’Économie Sociale et Solidaire, la connaissance de ces profils sensoriels est fondamentale. Que ce soit dans une crèche, une maison d’enfants à caractère social, un établissement pour adultes handicapés, un chantier d’insertion ou un tiers-lieu culturel, les professionnels sont confrontés à des personnes dont la perception du monde est affectée par leur rapport au sensoriel. Intégrer cette dimension dans les pratiques quotidiennes, c’est faire un pas vers plus de justice sensorielle. Cela signifie adapter l’espace, les rythmes, les matériaux, mais aussi la posture relationnelle, pour que chacun puisse exister sans surcharge ni sous-stimulation.
Dans les écoles Montessori, cette approche est souvent intuitive. Mais elle ne devrait pas être réservée à des pédagogies alternatives ou à des familles averties. Dans une logique ESS, elle devrait être un socle partagé pour toutes les structures qui accueillent de la vulnérabilité, quelle que soit sa forme. Car reconnaître un enfant comme Nordin dans ses besoins profonds, c’est déjà faire œuvre d’équité.
Des profils cognitifs multiples, aux manifestations sensorielles contrastées
Les professionnels de terrain le constatent tous les jours : derrière des comportements jugés inadaptés, des fatigues chroniques ou des difficultés d'intégration sociale, il existe parfois un monde sensoriel décalé, amplifié ou engourdi. Il ne s’agit pas ici de psychiatriser les comportements, mais de mieux les comprendre à la lumière de la diversité cognitive et des variations sensorielles qui en découlent.
Les personnes présentant un trouble du spectre de l’autisme, un TDAH, un haut potentiel intellectuel (HPI), une dyspraxie ou un trouble DYS ont bien souvent un profil sensoriel spécifique. Chez certaines, l’hypersensibilité est constante : chaque bruit fort est une agression, chaque lumière vive une détonation visuelle. D’autres, à l’inverse, ne sentent pas la faim, ou supportent des blessures sans douleur apparente. Beaucoup oscillent entre ces deux pôles, selon leur niveau de fatigue, leur état émotionnel ou la sécurité de l’environnement.
Dans un chantier d’insertion accueillant des jeunes décrocheurs, une éducatrice raconte le cas de Karim, 22 ans, porteur d’un TDAH diagnostiqué. Lorsqu’il entre dans l’atelier de menuiserie, il est incapable de rester plus de quinze minutes sans bouger. Il se lève, touche tous les outils, ouvre les fenêtres même en hiver, et se frotte les bras de manière compulsive. Les premiers temps, l’équipe pense à un refus de l’effort ou à un manque de concentration. Mais en analysant avec lui ses ressentis, ils découvrent que Karim ne « sent » pas son corps s’il ne bouge pas. L’espace trop silencieux le perturbe. La manipulation des matières brutes lui sert de repère kinesthésique. Il ne cherche pas à déranger : il cherche à s’ancrer.
Ce type d'hyposensibilité proprioceptive ou vestibulaire est fréquent chez les personnes porteuses d’un trouble attentionnel. Dans une étude menée par l’INSERM et relayée en 2023 par la DREES, il est indiqué que 3,5 % des jeunes de 18 à 25 ans présentent des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité, et que près de la moitié d’entre eux n’ont pas accès à un accompagnement adapté. Ces jeunes se retrouvent alors dans des dispositifs d’insertion sans que leurs besoins spécifiques ne soient identifiés, encore moins pris en compte.
À l’inverse, dans certaines entreprises sociales, des salariés en situation de handicap invisible témoignent de leur hypersensibilité auditive. Sandrine, 36 ans, assistante administrative dans une coopérative de production bio, raconte que le simple bruit des claviers autour d’elle la rend anxieuse. Elle porte des bouchons d’oreilles moulés, qu’elle retire uniquement pour les réunions. Ce n’est pas un caprice, ni une fragilité excessive, mais une manière de survivre à une surcharge sensorielle constante. Quand l’entreprise a déménagé dans un espace plus ouvert, elle a failli démissionner. Finalement, un bureau isolé lui a été attribué – un geste simple, mais qui a tout changé.
La cohabitation de l’hypersensibilité et de l’hyposensibilité au sein d’un même profil cognitif n’est pas rare. Un même individu peut être hypersensible au bruit et hyposensible à la douleur, hypersensible aux odeurs mais hyposensible à la position de son corps dans l’espace. Cela crée des vécus paradoxaux et souvent incompris. Les tensions internes entre ces deux pôles sensoriels peuvent se traduire par de l’instabilité émotionnelle, des crises d’angoisse ou un retrait social.
Dans les établissements relevant de l’ESS, ces particularités méritent d’être intégrées dans les référentiels d’accueil et les parcours d’accompagnement. Une personne n’est pas inemployable parce qu’elle fuit le contact ou ne supporte pas les néons : elle a simplement besoin d’un environnement qui ne déclenche pas une alerte sensorielle permanente. L’hyposensibilité, quant à elle, peut rendre les signes de douleur ou de mal-être invisibles, ce qui nécessite une attention accrue de la part des encadrants. Dans une association d’insertion par l’activité économique (IAE) située dans le Sud-Ouest, une encadrante raconte qu’un jeune en contrat a continué à travailler une journée entière avec une entorse, sans se plaindre, parce qu’il « ne sentait rien ». C’est à la manière dont il se déplaçait, et à son comportement agité, qu’elle a perçu un décalage.
Les chiffres confirment que ces réalités sont loin d’être marginales. Selon une estimation de Santé Publique France, entre 15 et 20 % de la population française présente une forme de neuroatypie. Pourtant, très peu de formations en insertion ou en accompagnement professionnel abordent les questions sensorielles de manière systémique. Le manque de diagnostic, le cloisonnement entre secteurs, et une vision encore très normative du fonctionnement cognitif et émotionnel constituent des freins majeurs à l’inclusion.
L’ESS, par son positionnement éthique, a la capacité d’ouvrir de nouvelles voies. Intégrer la question des profils sensoriels dans les projets personnalisés, proposer des médiations corporelles, des espaces sensoriels, ou des ajustements simples mais décisifs (casques, pauses, matériaux) ne relève pas d’un luxe. C’est un acte de justice sociale.
Le travail n’est pas neutre sensoriellement. Et l’inclusion ne peut être pensée sans la reconnaissance de cette diversité invisible.
Sensorialité et environnement de travail : un enjeu souvent ignoré
Le cadre de travail dans lequel une personne évolue, au quotidien, a une influence profonde sur son équilibre sensoriel. Pour les personnes présentant une hypersensibilité ou, à l’inverse, une forme d’hyposensibilité, cet environnement peut devenir un facteur d’usure, de surstimulation ou de repli. Les murs, les matières, les sons, les lumières, les rythmes de travail ou encore les interactions humaines ne sont jamais neutres. Pourtant, rares sont les employeurs qui pensent à la sensorialité au moment de concevoir ou d’aménager les espaces de travail.
Dans les grandes entreprises tertiaires, par exemple, le développement massif des open spaces ces vingt dernières années a eu des effets ambivalents. Si ces aménagements favorisent la communication et la flexibilité des espaces, ils exposent aussi les travailleurs à des stimuli sonores, visuels et sociaux continus. Selon une étude de la Dares parue en 2023, près de 48 % des actifs travaillant en espace partagé déclarent une gêne quotidienne liée au bruit. Ce chiffre grimpe à 65 % chez les personnes déclarant un trouble du sommeil ou une grande fatigabilité sensorielle. Dans ces environnements, les personnes hypersensibles sont les premières à décrocher.
Leurs capacités cognitives sont mobilisées non pas pour effectuer les tâches, mais pour tenter de gérer un environnement jugé menaçant, trop chargé, imprévisible. Certaines se réfugient dans les toilettes pour souffler. D’autres développent des stratégies de repli, s’isolent ou se sur-adaptent au prix d’une tension permanente.
Dans les secteurs industriels, l’enjeu sensoriel est d’une tout autre nature. Les ateliers sont bruyants, les machines émettent des vibrations, les éclairages sont puissants, les odeurs chimiques sont parfois fortes. Là, ce sont les profils hyposensibles qui, paradoxalement, se fondent mieux dans le décor. Les personnes recherchant une stimulation constante peuvent s’épanouir dans ces environnements dynamiques et structurés.
Mais dès lors qu’un profil hypersensible est exposé à ces conditions, les troubles somatiques peuvent apparaître rapidement : céphalées, fatigue extrême, tensions musculaires, voire désorientation spatiale. Selon les chiffres de la branche AT-MP de la CNAM, les troubles musculo-squelettiques et les syndromes d’épuisement liés à des environnements sensoriels agressifs sont en forte hausse dans l’industrie légère, notamment chez les intérimaires. Ce sont souvent les plus précaires, les moins accompagnés, qui sont envoyés dans des zones à forte charge sensorielle, sans évaluation préalable de leur compatibilité physiologique ou psychique.
Dans le secteur médico-social, les tensions sensorielles prennent d’autres formes. Les odeurs de désinfectant, les bips d’alarme, les cris ou les appels des résidents en détresse, la lumière artificielle constante, créent un climat d’hyperstimulation souvent invisible mais durablement épuisant. Les aides-soignants, les éducateurs spécialisés, les veilleurs de nuit, tous les professionnels de terrain qui exercent dans ces contextes à haute charge affective et sensorielle, sont soumis à une forme de fatigue cumulative. Une enquête de la DREES menée en 2022 montre que plus de 60 % des personnels du secteur médico-social se disent exposés à un bruit considéré comme gênant dans leur environnement de travail, et 43 % déclarent une lumière insuffisamment modulable, notamment lors des soins de nuit.
L’Économie Sociale et Solidaire, en tant que secteur attentif à la personne dans toutes ses dimensions, a un rôle pionnier à jouer pour mieux intégrer la sensorialité dans ses politiques RH, dans l’aménagement des espaces et dans la réflexion managériale. Certaines structures, conscientes de ces enjeux, commencent à adapter leurs locaux. Dans une entreprise d’insertion en Île-de-France, un petit espace a été transformé en salle de ressourcement sensoriel. Pas de machines, pas d’ordinateurs. Une lumière tamisée, des textures douces, un fauteuil à bascule, quelques huiles essentielles, un silence assumé. Les salariés peuvent s’y rendre librement en journée, pour dix ou quinze minutes. Depuis la mise en place de cette salle, le taux d’absentéisme a chuté de 18 % et les tensions interpersonnelles ont baissé. Il ne s’agit pas d’un gadget mais d’un levier de performance sociale durable.
Dans les associations de réinsertion professionnelle, certains chantiers ont choisi de travailler en horaires fractionnés pour éviter la surcharge sensorielle en fin de journée. D’autres ont revu leur système d’éclairage, remplacé certains matériaux, isolé acoustiquement les ateliers. Ces gestes, qui paraissent mineurs à l’échelle d’un bâtiment, deviennent cruciaux pour des personnes dont l’état émotionnel, cognitif et corporel dépend fortement de la qualité de leur environnement sensoriel.
Dans une société où l’inclusion devient un impératif et non plus un supplément d’âme, repenser le travail comme un espace sensoriellement soutenable est un enjeu central. Ce n’est pas une simple question de design ou de décoration, mais un acte de reconnaissance. Reconnaissance de la diversité humaine, des parcours invisibles, des vulnérabilités comme des forces. Pour que chacun puisse habiter son travail sans s’y perdre, il faut désormais intégrer la sensorialité comme une dimension stratégique de l’organisation.
La cryothérapie, une piste pour la régulation sensorielle et émotionnelle ?
Dans les milieux professionnels, en particulier ceux relevant de l’Économie Sociale et Solidaire, la question de la régulation émotionnelle reste trop souvent reléguée aux sphères privées ou thérapeutiques. Pourtant, pour un grand nombre de personnes, notamment celles présentant un profil hyposensible, cette régulation repose d’abord sur une capacité à se reconnecter à leur corps, à leurs perceptions, à leurs limites.
Lorsqu’un individu peine à ressentir son corps, à détecter les signaux faibles de la douleur ou de la fatigue, l’entrée dans l’épuisement ou la crise se fait sans alerte. L’usure est alors plus rapide, plus silencieuse, plus difficile à prévenir. C’est dans ce contexte que certaines pratiques issues du domaine du sport ou du soin alternatif, comme la cryothérapie, commencent à susciter l’intérêt des acteurs du médico-social et de l’ESS.
La cryothérapie, qui consiste à exposer le corps à des températures extrêmement basses pendant un temps court – généralement entre deux et quatre minutes à environ -110°C –, est d’abord apparue dans les milieux sportifs pour favoriser la récupération musculaire et réduire les douleurs inflammatoires.
Elle a ensuite gagné les secteurs du bien-être, avec une promesse de revitalisation globale. Mais au-delà des effets sur la circulation ou les tensions physiques, ce que rapportent de nombreuses personnes ayant expérimenté la cryothérapie, c’est une forme de réveil sensoriel brutal, mais bénéfique. L’exposition au froid extrême provoque une réponse adaptative du système nerveux autonome : la personne se recentre, son attention est ramenée au corps, la respiration s’ajuste, les tensions mentales se dissipent. Chez certains, cela agit comme un interrupteur permettant de retrouver une clarté mentale et une sensation de présence physique immédiate.
Pour les personnes hyposensibles, qui peuvent traverser leurs journées dans un flou perceptif constant, ce type de stimulation intense peut agir comme un ancrage.
Du point de vue scientifique, plusieurs études récentes, notamment celles publiées dans Frontiers in Physiology, commencent à explorer les effets de la cryothérapie sur le stress, la variabilité cardiaque, l’humeur et la qualité du sommeil. Ces effets sont encore mal compris, mais les résultats initiaux suggèrent que le froid intense stimule la production de noradrénaline, une molécule impliquée dans la vigilance, et active certaines zones du cerveau liées à la motivation et à la perception corporelle. Si les recherches sont encore balbutiantes, le témoignage des usagers, lui, est plus net.




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