Névrose collective en EHPAD : comprendre et prévenir la maltraitance
Turn-over élevé, absentéisme, tensions : quand l’organisation en EHPAD favorise la maltraitance. Analyse freudienne et pistes pour gérer les conflits. Au delà de la maltraitance institutionnelle cet article explore la névrose collective des établissements qui accueillent des personnes vulnérables.
DYNAMIQUE DE GROUPEVEILLE SOCIALE
LYDIE GOYENETCHE
9/14/20255 min lire


La névrose collective : miroir des espaces intérieurs
Un rôle central mais fragilisé
Les Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) occupent une place cruciale dans notre société. Ce sont des lieux où la mission devrait être claire : préserver la dignité, soulager les souffrances, maintenir ou améliorer la qualité de vie des personnes âgées dépendantes. Pourtant, les données récentes révèlent une fragilité organisationnelle préoccupante.
En 2023, le taux de rotation du personnel dans le secteur médico-social est passé de 19,4 % en 2018 à 24,4 %. Le taux de vacance de postes dans les EHPAD atteint 4,1 %, légèrement inférieur à la moyenne des ESMS (4,5 %), mais lourd de conséquences quand il s’agit de soignants. L’absentéisme, après avoir culminé à 13 % pendant la pandémie, reste encore aujourd’hui élevé : dans 50 % des établissements, il se situe entre 8 % et 16 % selon les régions.
Ces chiffres montrent une instabilité, mais ils ne suffisent pas à diagnostiquer une « maltraitance généralisée ». Ils invitent surtout à interroger ce qui se joue au niveau symbolique et collectif : comment des lieux dédiés au soin deviennent-ils parfois des espaces de conflits internes, de souffrance, et même de maltraitance institutionnelle ?
Comprendre la névrose collective
L’articulation freudienne du ça, du moi et du surmoi
Freud décrit l’appareil psychique comme structuré par trois instances. Le ça est le réservoir pulsionnel : il porte les désirs, les besoins, mais aussi la fatigue et l’agressivité. Le surmoi incarne les interdits et les normes intériorisées, souvent héritées de la société et de l’institution. Le moi est l’instance de régulation, qui tente d’arbitrer entre les désirs du ça, les exigences du surmoi et la réalité extérieure.
Dans un contexte équilibré, le moi permet une médiation créative : il transforme les désirs de soin en gestes concrets tout en respectant les règles. Mais dans un environnement taylorisé et hyper-hiérarchisé, le surmoi collectif devient tyrannique : protocoles, objectifs chiffrés, contrôles permanents. Le moi est écrasé, incapable d’intégrer les pulsions vitales du ça (désirs de relation authentique, besoin de reconnaissance, pulsion de repos).
Quand la régulation échoue
Ce déséquilibre engendre une tension insoutenable. Pour y faire face, les soignants développent des mécanismes de défense collectifs : distance affective, froideur, rationalisation des gestes techniques. Ces défenses, compréhensibles au niveau individuel, deviennent problématiques au niveau collectif : elles produisent un climat où la maltraitance institutionnelle peut se glisser, parfois sans intention consciente de nuire.
Freud soulignait que lorsqu’un surmoi devient excessivement normatif, il génère une culpabilité permanente et de l’agressivité déplacée. Dans les EHPAD, cette agressivité se retourne contre soi (burn-out, absentéisme), contre l’organisation (conflits hiérarchiques) ou contre les résidents eux-mêmes, qui deviennent le réceptacle involontaire de la tension collective.
Les métiers au service d’un public vulnérable
La charge symbolique du soin
Prendre soin d’une personne âgée dépendante ne se limite pas à des tâches techniques. Chaque geste renvoie à des représentations intimes : la fragilité des parents, la perspective de sa propre vieillesse, la confrontation à la dépendance et à la mort. L’organisation collective agit alors comme un miroir symbolique. Le soignant ne se trouve pas seulement face à un résident, mais face à l’image de sa propre histoire familiale, voire à des conflits non résolus.
L’effet de la pyramide organisationnelle
À cette charge symbolique s’ajoute la rigidité de la pyramide héritée du taylorisme. Les protocoles et contrôles renforcent un surmoi collectif rigide qui entre en collision avec le ça des soignants. Le moi, pris dans cette contradiction, ne parvient plus à réguler. D’où des comportements paradoxaux : une générosité sincère mais aussi une distance froide, un dévouement réel mais aussi des gestes qui peuvent être vécus comme maltraitants.
Quand la tension devient visible
Un exemple concret illustre cette dynamique. Par manque de temps ou de renfort, un soignant peut inciter un résident à uriner dans sa protection plutôt que de l’accompagner aux toilettes. Pris isolément, ce geste semble maltraitant. Mais replacé dans son contexte, il traduit surtout une névrose collective : un système où la surcharge et la hiérarchie étouffent le désir profond de prendre soin.
Conséquences sur les résidents
Pour les résidents, ces pratiques renforcent le sentiment d’infantilisation. Certaines personnes régressent vers des comportements infantiles non résolus, d’autres voient leur dépendance s’aggraver et leurs facultés se dégrader plus rapidement. Selon l’OMS, une personne âgée sur six subit une forme de maltraitance chaque année, et 11,6 % sont victimes de maltraitance psychologique. En France, près d’un quart des EHPAD signalent des violences régulières. Ces chiffres montrent que la souffrance des soignants et celle des résidents s’entrelacent dans un même climat collectif.
Le conflit comme symptôme et opportunité
Quand le conflit parle pour l’organisation
Les éclats visibles — une aide-soignante qui s’emporte face à une cadre, une famille qui accuse l’équipe de négligence — ne sont pas des anomalies isolées. Ils sont le langage d’un déséquilibre collectif. Le conflit révèle que quelque chose ne circule plus, que la régulation psychique et organisationnelle est en panne.
Accueillir la réalité telle qu’elle est
La gestion des conflits ne consiste pas à imposer une vision abstraite du bien, mais à accueillir la réalité : la fatigue des soignants, la vulnérabilité des résidents, l’inquiétude des familles. Cet accueil ouvre à des solutions pragmatiques qui préservent la dignité : accompagner malgré la contrainte du temps, aménager un planning plus humain, ouvrir des espaces de parole.
Une relecture ESS et une culture de reconnaissance
L’Économie Sociale et Solidaire propose des pistes pour sortir de l’impasse. En introduisant des espaces de coresponsabilité — réunions de parole, comités de décision partagée, réflexion collective sur la maltraitance institutionnelle — certains établissements réduisent l’absentéisme et améliorent la confiance. Ces expériences montrent que d’autres modes de régulation sont possibles.
Vers une culture de la reconnaissance mutuelle
Ce qui manque le plus n’est pas un règlement supplémentaire, mais une culture de reconnaissance mutuelle. Reconnaître le résident comme une personne capable de choix. Reconnaître le soignant comme un professionnel avec ses limites. Reconnaître la famille comme un partenaire affectivement engagé. Lorsque cette reconnaissance circule, le conflit cesse d’être une menace : il devient un processus d’ajustement vital.
C’est précisément l’objet du séminaire « gestion des conflits » : apprendre à lire le conflit comme un langage collectif, à l’accueillir sans le nier, et à le transformer en ressource pour restaurer la vocation première du soin : préserver la dignité de chacun.




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