Taylorisme et rentabilité : Quand le contrôle minutieux détruit vos neurones et votre boussole interne

Le Taylorisme : une méthode rentable mais déshumanisante. Découvrez ses impacts sur le contrôle et la psychomotricité, et explorez des alternatives pour un travail plus humain.

DYNAMIQUE DE GROUPEMANAGEMENT

Lydie GOYENETCHE

9/13/20244 min lire

TAYLORISME
TAYLORISME

Le taylorisme ou l’asservissement de l’homme et du langage à des fins de rentabilité

Quand le mot cesse d’être une relation

Le Taylorisme, cette vieille mécanique industrielle du rendement, n’a pas disparu. Il s’est transformé. Il s’est glissé dans des lieux insoupçonnés : écoles, hôpitaux, résidences seniors. Partout où l’on devrait s’adresser à l’humain comme à un être libre, il s’adresse à lui comme à un exécutant. Ce n’est plus la chaîne de montage, mais le planning à la minute près. Ce ne sont plus les machines-outils, mais les logiciels qui distribuent les tâches. Ce ne sont plus des contremaîtres, mais des coordinatrices qui ne laissent place ni au silence, ni au dialogue.

Et derrière cela, un phénomène plus insidieux encore : l’instrumentalisation du langage. Les mots cessent d’être des ponts. Ils deviennent des ordres. Des fragments techniques sans chair. Des murs. Et là, le dialogue meurt.

Le langage comme respiration absente

Le langage véritable n’est pas un protocole. C’est une respiration. Un espace de reconnaissance. Une manière d’habiter l’autre et de s’y rendre habitable. Quand un résident dit « j’ai froid », il ne dit pas seulement une température. Il dit une vulnérabilité, une attente, un appel. Et celui qui reçoit cette parole ne répond pas en minutes allouées, mais en présence.

Mais dans le monde taylorisé, le mot ne relie plus. Il attribue une tâche. Il catégorise. Il planifie. Il verrouille. Le langage devient script et non résonance. Il cesse d’être dialogue pour devenir un ordre silencieux, non discuté. Il n’invite plus, il impose.

Des mots qui ferment le sens

Une salle de bain ? Huit minutes. L’habillage ? Dix. L’humain ? Dissous dans des segments de temps. Les AVS deviennent des exécutants de mots figés sur un planning, incapables de moduler, de respirer, de répondre autrement qu’en cochant des cases. Le langage, ici, n’est plus mouvement, il est verrouillage.

Dans certaines structures, demander un produit ménager devient une procédure. L’accès aux outils suppose une autorisation. Même les gestes simples sont encadrés par des mots extérieurs, posés sans dialogue. Et l’on s’étonne que la pensée se replie, que l’initiative disparaisse, que l’être s’absente.

Quand la pensée n’a plus d’espace

Le cerveau humain n’est pas fait pour obéir à des mots morts. Il a besoin de sens, de relation, de latitude. Pour une personne vivant avec un TDA, l’environnement taylorisé devient un champ de confusion : tout est imposé de l’extérieur, sans temps pour construire une représentation mentale de l’espace ou du déroulement.

Quand on interdit la parole intérieure — celle qui anticipe, qui comprend, qui ajuste — on provoque une déperdition visuo-spatiale. L’espace devient flou. Le temps se fragmente. Et l’individu, coupé du dialogue, devient l’ombre de lui-même. Non pas par faiblesse, mais parce qu’on lui a ôté la possibilité même d’habiter le langage.

Ce phénomène peut être accentué chez les personnes neurodivergentes, mais il n’est pas leur exclusivité. La rigidité du cadre, l’impossibilité de relier les actions à une compréhension globale, affectent profondément le fonctionnement cognitif de toute personne sensible au sens. Et c’est là que surgit une autre forme de violence : celle de se sentir ramené à l’état d’enfant dépendant, incapable d’anticiper ou de prendre des initiatives, alors même qu’on est adulte, autonome, parent, responsable.

On parle souvent d’épuisement professionnel. Mais il s’agit aussi d’un effacement identitaire, sournois, où l’on ne se reconnaît plus dans ses propres gestes. Parce que les gestes ne naissent plus de soi.

L’illusion d’un monde maîtrisé

Le Taylorisme séduit car il donne l’illusion du contrôle. Il promet une efficacité mathématique, une rentabilité immédiate. Amazon en a fait un empire. Certaines résidences en font un modèle de gestion. Mais ces structures oublient que ce qui est rentable à court terme est souvent destructeur à long terme.

On peut livrer un colis en 24h. Mais on ne peut pas aimer, soigner, accompagner en huit minutes. Ce qui soigne, c’est le lien. Et le lien a besoin de langage vrai.

Réhabiliter la parole vivante

Sortir du Taylorisme ne passe pas d’abord par une réforme technique. Cela commence par une réhabilitation du langage : redonner aux mots leur fonction première, celle d’ouvrir un espace d’être.

Rendre à chaque acteur sa capacité de parole. Pouvoir nommer ce qu’il vit, ce qu’il comprend, ce qu’il pourrait proposer.

Encourager l’intelligence collective. Non comme slogan, mais comme processus lent, incarné, où chacun devient co-auteur du travail.

Reconnaître que le temps relationnel n’est pas du temps perdu, mais le seul temps vraiment fécond.

Réconcilier le langage et la vie

Le Taylorisme n’est pas seulement une méthode de gestion : c’est un langage qui a oublié l’humain. Il réduit le verbe à des segments d’ordre, et l’homme à des fonctions à exécuter. Or, tant que les mots ne seront pas redonnés à ceux qui vivent, agissent, pensent, aucun soin ne sera vraiment juste.

Repenser le travail, ce n’est pas seulement réorganiser les plannings. C’est réconcilier le langage et la vie. Redonner souffle aux gestes. Et surtout, réapprendre à entendre. Car c’est toujours dans un dialogue que l’humain renaît.