La maltraitance institutionnelle

Le manque de places en EHPAD pousse les résidences seniors à accueillir des personnes dépendantes sans les moyens adaptés, créant des risques de maltraitance institutionnelle. Ensemble, agissons pour garantir dignité et respect à nos aînés. #StopMaltraitance #SeniorsEnDanger

DYNAMIQUE DE GROUPE

Lydie GOYENETCHE

9/15/20245 min lire

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Vieillir dans l’angle mort : quand la pénurie crée une maltraitance sans bourreau

Le grand âge ne fait pas de bruit. Il s’installe dans les plis de notre société comme une évidence que l’on n’ose pas regarder en face. Pourtant, à mesure que les générations avancent en âge, les solutions d’hébergement et d’accompagnement s’effritent. Ce qui devait être une promesse de dignité devient parfois un parcours du combattant.

Derrière les chiffres de la dépendance, ce sont des fils et des filles déboussolés, des professionnels à bout de souffle, et des aînés ballottés entre des structures qui n’ont pas été pensées pour eux. Dans ce contexte, une maltraitance institutionnelle insidieuse prend forme. Elle ne vient pas d’intentions malveillantes. Elle naît d’un système essoufflé, où chacun fait ce qu’il peut, mais où les réponses adaptées manquent cruellement.

Une tension qui ne dit pas son nom : la saturation des EHPAD

Dans de nombreux départements, le manque de places en EHPAD n’est plus un simple déséquilibre, mais une donnée structurelle. Dans les Pyrénées-Atlantiques, on compte à peine 129 places d’hébergement pour 1 000 personnes âgées de plus de 75 ans, bien en dessous de la moyenne nationale. Cette insuffisance se ressent jusque dans les urgences hospitalières, où l’on retient parfois des personnes âgées plusieurs semaines, faute de solution de sortie adaptée. La crise sanitaire a par ailleurs laissé des traces durables : elle a renforcé la défiance des familles envers l’institution, sans pour autant offrir de vraies alternatives.

Certes, certaines places sont disponibles dans les établissements les moins demandés. Mais ce sont souvent des structures éloignées géographiquement, ou dont la réputation interroge. Les familles se retrouvent alors face à un mur. Celui de l’attente, du renoncement, ou de l’improvisation.

Résidences seniors : entre autonomie revendiquée et dépendance dissimulée

Dans ce contexte, les résidences seniors apparaissent comme un recours temporaire, un refuge plus souple, plus humain, parfois plus accessible. Ces établissements, pensés pour des personnes encore autonomes, proposent des logements indépendants avec quelques services facultatifs. On y entre pour rester maître de son rythme, tout en bénéficiant d’un cadre rassurant.

Mais peu à peu, sous l’effet de la pression familiale et de l’évolution des profils accueillis, ces lieux voient arriver des résidents en perte d’autonomie avancée. Ce glissement se fait souvent dans le silence. Il n’est ni concerté ni encadré. Il s’impose, parce qu’il n’y a pas d’autre choix. Et il expose ces établissements à une tension constante : le personnel, en sous-effectif chronique, n’est pas formé pour accompagner des gestes de soins. Les espaces, quant à eux, ne sont pas toujours adaptés aux besoins spécifiques des personnes en fauteuil roulant, ou sujettes à des troubles cognitifs.

Ce que l’on observe alors, ce n’est pas une maltraitance individuelle, mais bien une maltraitance institutionnelle. Une forme d’abandon discret, de solitude organisée, où les actes de base — s’habiller, se laver, signaler une douleur — deviennent des obstacles faute d’encadrement suffisant. Les équipes font ce qu’elles peuvent. Mais cela ne suffit pas.

Maintien à domicile : une promesse fragile qui s’effondre en périphérie

Pour beaucoup de familles, l’autre issue envisagée est le maintien à domicile. On y croit par amour, par culture, par respect. Mais cette option, si elle n’est pas solidement entourée, peut devenir un leurre. Là encore, les moyens manquent. Les cabinets infirmiers sont débordés. Les plans d’aide sont incomplets. Et quand l’offre médico-sociale publique ne peut plus répondre, les familles se tournent vers le privé, souvent dans l’urgence.

Des structures d’aide à domicile envoient alors des auxiliaires de vie ou des AVS pour assurer des missions que ces professionnelles ne sont pas habilitées à effectuer. Faute de personnels diplômés ou disponibles, elles se retrouvent à faire des toilettes complètes, à porter des diagnostics sans en avoir les outils, à intervenir sans transmission médicale. La frontière entre soin et aide s’efface dans la confusion.

Le risque n’est pas seulement réglementaire. Il est humain. Car dans ce flou, les signaux faibles ne sont plus transmis. Les douleurs ne sont pas entendues. Les familles croient leurs proches suivis, mais ne sont pas informées des complications. Une mise en danger progressive s’installe, sans qu’aucun maillon ne puisse, seul, inverser la tendance.

Là encore, il ne s’agit pas de pointer du doigt les intervenants. Ils travaillent dans l’ombre, parfois avec dévouement, souvent sans soutien. Ce sont les conditions de leur intervention qui posent problème, pas leur engagement personnel.

Une maltraitance systémique née de l'impuissance collective

La maltraitance institutionnelle dont il est ici question ne repose pas sur des gestes violents ou des comportements abusifs. Elle prend racine dans une organisation incapable d’assurer ce qu’elle promet: la continuité du soin, la dignité du quotidien, le respect de la personne. Elle est la conséquence d’une tension systémique, où l’on repousse les limites de chaque acteur, sans jamais repenser l’ensemble.

Ce type de maltraitance n’a pas de visage. Elle ne trouve pas de coupable. Mais elle a des effets tangibles. Elle use les familles. Elle épuise les professionnels. Et elle isole les personnes âgées dans une zone de flou, où l’on survit plus qu’on ne vit.

Dans une telle configuration, l’urgence n’est pas de désigner un responsable. Elle est de repenser le cadre, les priorités, les arbitrages. Et surtout, de reconnaître cette forme de violence passive qu’est l’indifférence logistique. Car ne pas pouvoir vieillir en sécurité, c’est déjà une forme d’abandon.

Pour un autre modèle : repolitiser la question du soin et du lien

Ce que révèle cette réalité, c’est l’épuisement d’un modèle fondé sur la rentabilité des structures, la segmentation des compétences, et l’invisibilisation des besoins profonds. Il ne suffit plus d’ajouter des lits ou de multiplier les aides ponctuelles. Il faut revoir la logique même de l’accompagnement.

Des solutions existent. Elles sont portées depuis longtemps par l’économie sociale et solidaire, les coopératives de soin, les projets d’habitat partagé, les mutuelles citoyennes. Elles reposent sur une autre manière de penser la vulnérabilité : non comme une charge, mais comme un lieu de relation. Ces modèles hybrides, entre domicile et institution, entre autonomie et encadrement, dessinent un avenir possible.

Encore faut-il que les politiques publiques s’en saisissent. Que l’on forme, que l’on reconnaisse, que l’on finance. Que l’on sorte enfin de la logique de gestion des flux pour entrer dans une dynamique de co-construction durable, humaine et territorialisée.

Vieillir, ce n’est pas disparaître

À force de parler de dépendance, de charge ou de coût, on oublie l’essentiel. Vieillir, ce n’est pas cesser d’être. C’est continuer à exister, autrement. Avec lenteur parfois, avec fragilité souvent, mais toujours avec une égale dignité.

La manière dont une société traite ses aînés dit quelque chose de sa propre humanité. Il est temps d’ouvrir les yeux sur ce qui se joue, en silence, dans les marges de nos politiques sociales. Et de décider, collectivement, que vieillir ne doit plus jamais être un risque.