Emballages Durables dans les Spiritueux : Innover pour Réduire les Coûts

À Blanquefort, l’emballage devient un levier stratégique pour les vins et spiritueux. Entre innovation, héritage et image de marque, découvrez comment repenser vos packagings pour séduire les marchés internationaux comme le Mexique sans perdre votre identité.

VEILLE ECONOMIQUE

Lydie GOYENETCHE

10/2/20248 min lire

De la 4L aux chais de Blanquefort, l'empreinte des frères Castel

En 1949, sur les quais des Chartrons à Bordeaux, une fratrie de neuf frères et sœurs, menée par Pierre Castel, donnait naissance à une modeste entreprise de négoce de vin : Castel Frères. À l'époque, les débuts étaient humbles : les premières livraisons se faisaient à bord d'une simple voiture, parcourant les routes pour acheminer le vin directement aux clients.

Cette aventure entrepreneuriale, née d'une passion pour le vin et d'une détermination sans faille, a conduit à la création d'un empire familial. Aujourd'hui, le siège de Castel Frères à Blanquefort incarne cette réussite, abritant le plus grand chai d'Europe, semi-enterré, conçu pour préserver la qualité des vins dans des conditions optimales. 

Blanquefort, avec son riche patrimoine viticole et son engagement envers l'innovation, est devenu le cœur battant de cette success story. C'est ici que les décisions stratégiques prennent forme, notamment en matière de choix d'emballages, devenus un levier essentiel pour répondre aux enjeux environnementaux, logistiques et esthétiques du secteur des spiritueux.

Entre effervescence mondiale et enracinement girondin

À Blanquefort, dans les chais semi-enterrés du groupe Castel, le temps semble suspendu — comme s’il épousait la lente maturation du vin et la patience du savoir-faire. Ici, entre les courbes de la Garonne et l’horizon du Médoc, le verre ne sert pas seulement à contenir : il transmet.

Transmet l’exigence d’une maison, la mémoire d’un territoire, la promesse d’un art. Car au cœur du monde des spiritueux, c’est bien cette alchimie entre contenu et contenant qui se joue aujourd’hui — une tension fertile entre tradition et transformation.

Le marché mondial des spiritueux, porté par la montée en puissance des produits premium et super-premium, s’emballe : +28 % de croissance en volume pour les segments haut de gamme, des marques comme Hennessy ou Grey Goose qui deviennent ambassadrices culturelles autant qu’objets de désir. La France, quant à elle, représente à elle seule 11 % de ce marché mondial, forte d’un héritage sans égal.

Mais cette ascension, si brillante soit-elle, repose sur un équilibre fragile.

Les tensions sur la filière sont nombreuses :

  • La pénurie de verre, d’abord, qui frappe de plein fouet les chaînes d’embouteillage, y compris à Blanquefort. Les grands verriers comme Verallia ou Owens-Illinois peinent à suivre la cadence.

  • Les coûts logistiques, ensuite, explosés depuis la pandémie. Transport maritime incertain, délais rallongés, budgets contraints : chaque bouteille devient un poids logistique, un enjeu stratégique.

  • Enfin, la pression écologique, omniprésente. Elle ne vient plus seulement des consommateurs : elle infuse les attentes des distributeurs, les injonctions réglementaires, les appels à la responsabilité des marques.

L’emballage, longtemps perçu comme une simple coquille esthétique, devient un sujet brûlant. À Blanquefort, les équipes le savent : choisir un contenant, c’est aujourd’hui choisir une direction, une éthique, une vision.

Certaines marques osent déjà des voies alternatives : Absolut Vodka expérimente la bouteille en papier, Bacardi mise sur l’aluminium recyclé, Maison Ferrand explore la consigne sur circuit court. Chaque innovation questionne : que transmet une bouteille allégée ? Peut-on conjuguer durabilité, élégance et robustesse ? Quel message embarque-t-on vers l’export depuis les quais girondins ?

Dans cette tension entre ancrage local et projection mondiale, le packaging devient un levier d’âme autant qu’un levier logistique.

Cinq pistes d’innovation pour un emballage à la hauteur des enjeux

Dans un secteur où la perception visuelle précède souvent la dégustation, l’emballage est le premier contact sensible avec la promesse du produit. Il cristallise une tension qui traverse aujourd’hui toute la filière vins et spiritueux : comment allier excellence perçue, durabilité réelle et viabilité économique, sans trahir l’ADN des marques ?

Derrière les lignes épurées d’une bouteille, les moindres détails comptent : poids, matériau, transparence, texture, inertie chimique, compatibilité logistique. Dans ce contexte, cinq pistes se détachent. Chacune ouvre des voies... et pose ses propres limites.

● Le rPET : l’économie circulaire au service de la performance

Déjà adopté par le secteur des bières, le rPET (plastique PET recyclé) séduit pour son poids plume et sa faible empreinte carbone. Il réduit les coûts de transport et diminue la dépendance au verre.
Mais son adoption dans le secteur des spiritueux reste marginale. La raison est simple : le plastique, même recyclé, peine à incarner l’univers du luxe. Il évoque la praticité, mais rarement la rareté. Dans les univers cognac ou whisky, où la bouteille devient écrin, le rPET fait figure de paradoxe.

● L’aluminium recyclé : brillance responsable, pari d’élégance

L’aluminium recyclé, quant à lui, allie résistance, recyclabilité infinie et image moderne. Bacardi prévoit de supprimer 100 % du plastique de ses emballages d’ici 2030.
Mais l’aluminium exige un traitement intérieur spécifique pour respecter les normes alimentaires. Son coût, lui, reste élevé. Le choix de ce matériau traduit donc une volonté forte : celle de revendiquer une rupture. Il est plus qu’un contenant, c’est un message.

● Le verre allégé : élégance préservée, logistique optimisée

C’est la solution la plus adoptée par les maisons de champagne et certains producteurs de spiritueux haut de gamme. Alléger le verre de 20 % permet de conserver l’apparence classique d’une bouteille, tout en allégeant son poids carbone.
Mais cette innovation présente des défis industriels : le verre allégé est plus complexe à produire, plus fragile à transporter, et parfois perçu comme moins qualitatif. Sa disponibilité reste aussi contrainte par la crise d’approvisionnement.

● Le carton moulé et les matériaux hybrides : pour l’e-commerce et les gammes accessibles

Poussés par la croissance du e-commerce, certains acteurs testent des emballages en carton moulé, en fibre végétale ou en papier composite. Moins coûteux, biodégradables, ultralégers, ils s’adaptent aux ventes en ligne.
Mais ils restent associés à une logique de praticité et peinent à traduire une émotion haut de gamme. Leur adoption dans les gammes premium demeure timide, même si certains design disruptifs commencent à émerger.

● Le retour du verre consigné : circuit court, fidélité longue

Longtemps écartée des circuits internationaux, la consigne refait surface dans les circuits courts. Des maisons comme Maison Ferrand testent le réemploi, notamment sur leurs gammes de rhums.
C’est un retour aux sources... et un pari relationnel : fidéliser par l’éthique, créer une proximité concrète avec le client final, réduire la dépendance au jetable. Le défi logistique est immense, mais la dimension affective et territoriale est puissante.

Mémoire du litron, loi Évin et renouveau stratégique de l’emballage

Longtemps, les bouteilles de vin circulaient de main en main comme on partage un pain ou une parole. Le litron, ce format populaire d’un litre, s’achetait à la tireuse chez les cavistes, se rapportait vide chez le grossiste, se remplissait à nouveau, prêt à reprendre la route d’un repas de famille ou d’un déjeuner d’ouvriers. Cette époque, Castel l’a incarnée pleinement. Non pas comme un symbole de luxe, mais comme un acteur profondément enraciné dans le quotidien des Français.

Mais ce quotidien a changé. La loi Évin, votée en 1991, a marqué un tournant silencieux mais profond. Elle a transformé la manière dont le vin se raconte, se montre, se consomme. Elle a redessiné les paysages publicitaires, modifié les habitudes familiales, fermé la porte à une certaine banalité du vin dans la sphère sociale. Pour les Français, c’était la fin d’un monde où l’on buvait sans y penser. Pour la famille Castel, ce fut aussi une rupture. L’entreprise dut repenser ses canaux de communication, adapter son positionnement, s’inscrire dans un cadre où la pédagogie remplaçait la séduction, et où le vin devenait à nouveau un objet culturel, presque sacralisé.

C’est dans ce contexte, à la fois juridique, social et symbolique, que le retour du verre consigné prend tout son sens. Ce qui fut autrefois un geste banal — rapporter sa bouteille vide — redevient aujourd’hui un acte engagé. La consigne ne parle plus de simplicité, mais de responsabilité. Elle ne se fait plus dans l’ombre d’un quotidien invisible, mais à la lumière d’une conscience collective émergente.

Reste à savoir si ce geste, hérité d’un monde où le vin était avant tout une affaire de proximité, peut désormais s’inviter dans les segments haut de gamme. Peut-on l’imaginer dans un univers où la rareté, l’élégance et la narration priment ? Peut-on conjuguer réemploi et prestige, boucle logistique courte et perception d’exception ? Peut-on faire d’un contenant réutilisable un symbole de fidélité plutôt qu’un marqueur de banalité ?

La réponse n’est pas évidente. Mais certaines maisons osent. Elles ne brandissent pas la consigne comme une solution miracle, mais comme un fil rouge, discret, cohérent, entre territoire et promesse de marque. Ce n’est pas le contenant qui fait le luxe, mais le sens qu’on lui donne. La bouteille consignée devient alors une présence. Elle revient, se nettoie, repart. Elle habite le cycle de vie du produit, mais aussi la mémoire du client. Elle fait partie du récit.

Face à la complexité du cadre réglementaire européen, à la diversité des législations douanières, à la prudence hygiéniste de certains marchés, cette solution ne pourra se généraliser sans une volonté politique, un accompagnement logistique et une confiance construite. Mais ce qui peut sembler à contre-courant aujourd’hui pourrait bien devenir, demain, le socle d’une différenciation forte. Le verre consigné n’est pas qu’un choix de contenant : c’est un engagement discret mais profond pour la transmission, la durabilité et la cohérence.

Dans un monde où les marques cherchent à affirmer leur unicité, l’emballage peut redevenir un messager. Il ne s’agit plus simplement d’attirer le regard, mais de faire mémoire, de tenir promesse, de tisser une relation. Le verre consigné, en renouant avec un geste ancien, pourrait ainsi incarner un luxe nouveau : celui du respect, du retour et du lien.

Bordeaux, Mexique : entre reconnaissance implicite et stratégie à réinventer

Les vins de Bordeaux bénéficient au Mexique d’une aura ancienne, mais souvent vague. Leur nom évoque l’élégance, une certaine idée de la France, un raffinement discret associé à des repas d’exception ou à des cadeaux d’entreprise. Mais cette reconnaissance est souvent silencieuse, diffuse, non convertie. Elle repose sur une réputation historique, non sur une relation active avec les consommateurs d’aujourd’hui.

Or, au Mexique comme ailleurs, la structure du marché évolue rapidement. Les jeunes générations, urbaines, connectées, éduquées, aspirent à des produits qui incarnent autant une esthétique qu’une vision du monde. Elles veulent comprendre ce qu’elles consomment. Elles veulent voir la marque, l’écouter, dialoguer avec elle. Dans ce contexte, la simple mention « Bordeaux » ne suffit plus. Il faut la traduire. L’incarner. L’actualiser.

Le choix de l’emballage devient alors une passerelle décisive. Un vin bordelais haut de gamme conditionné dans une bouteille allégée ou dans un flacon en aluminium noble, s’il est bien présenté, bien narré, peut parfaitement s’intégrer à cette nouvelle esthétique mexicaine. De même, une démarche de consigne élégante ou symbolique, inspirée des cycles de vie chers aux cultures mésoaméricaines, peut toucher une corde sensible chez des consommateurs soucieux de durabilité mais attachés aux rituels.

Encore faut-il que le message passe. Et c’est là que le retard digital de nombreux producteurs bordelais devient un obstacle stratégique majeur.

Le Mexique est un pays jeune, digitalisé, où les réseaux sociaux, les influenceurs gastronomiques, les plateformes d’e-commerce et les vidéos immersives jouent un rôle décisif dans les décisions d’achat. Un vin qui n’a pas de présence claire, structurée, bilingue et adaptée à ce marché reste invisible, même s’il est bon. Un domaine sans storytelling digital cohérent est perçu comme lointain, voire désuet. Et une marque sans contenus contextualisés (gastronomie locale, traditions mexicaines, propositions d’accords) ne peut pas s’ancrer dans l’imaginaire du pays.

Ce n’est pas une question d’identité à renier, mais de langage à adapter. Le prestige bordelais n’a pas besoin de se travestir pour séduire : il a besoin de s’expliquer autrement, de s’incarner avec tact, de dialoguer avec la culture locale. Le digital ne doit pas se limiter à la visibilité ; il devient le terrain même où la marque existe.

Ainsi, si l’on veut que les vins de Bordeaux rencontrent pleinement leur public mexicain, il ne suffira pas d’exporter un produit de qualité. Il faudra repenser l’emballage comme une promesse visible, la communication comme un acte de présence, le marketing digital comme un vecteur de lien. Ce travail, exigeant mais profondément porteur, peut ouvrir à la fois de nouveaux débouchés et une reconnaissance renouvelée, dans un pays où le respect des symboles va de pair avec l’envie d’expériences nouvelles.